Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont retenu une interprétation pragmatique de la loi du 14 avril 2011 concernant les conditions dans lesquelles l’inéligibilité d’un candidat est prononcée. Les décisions rendues ont surtout été l’occasion pour le juge de préciser les cas d’application de l’article L.52-8 alinéa 2 du Code électoral (participation des personnes morales au financement de la campagne d’un candidat). Plusieurs jugements précisent la portée de l’article L.52-1 du Code électoral, qui prohibe le lancement d’une campagne de promotion des réalisations d’une collectivité intéressée par le scrutin.
Analyse de Philippe Bluteau, avocat au barreau de Paris, Le Courrier des maires n° 267, avril 2013
Depuis le 1er avril 2012, de nombreuses décisions ont été rendues en matière de contentieux électoral : le Conseil constitutionnel a tranché les litiges nés des élections législatives de juin 2012 et le Conseil d’Etat a rendu ses derniers arrêts sur les élections cantonales de mars 2011 et sur plusieurs élections partielles.
Si l’apport inédit de ces décisions concerne la portée des nouvelles dispositions issues de la loi du 14 avril 2011 relatives aux conditions dans lesquelles l’inéligibilité d’un candidat peut être prononcée (I), les thèmes plus classiques, tels que le financement de la campagne (II) et les initiatives des collectivités locales en période préélectorale sont également abordés (III).
I. Le nouveau régime juridique des inéligibilités
Le juge électoral a commencé à exposer la portée qu’il convient de donner aux nouvelles dispositions introduites dans le Code électoral par la loi n°2011-412 du 14 avril 2011. Selon ce nouveau texte, les articles LO.136-1 (pour les élections parlementaires) et L.118-3 (pour les élections locales) du Code électoral prévoient que le juge prononce « l’inéligibilité du candidat dont le compte de campagne a été rejeté à bon droit en cas de volonté de fraude ou de manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
Reste à savoir en quoi consiste, pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat, ce manquement d’« une particulière gravité » qui justifie le prononcé d’une inéligibilité.
Le manquement d’« une particulière gravité »
Selon le Conseil constitutionnel (CC), « pour apprécier s’il y a lieu, pour lui, de faire usage de la faculté de déclarer un candidat inéligible, il appartient au juge de l’élection de tenir compte de la nature de la règle méconnue, du caractère délibéré ou non du manquement, de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte et du montant des sommes en cause » (CC n°2012-4675 AN du 25 janvier 2013).
Il a fait montre de mansuétude, en considérant que ne devait pas être rendu inéligible le candidat, président de conseil général, ayant bénéficié de trois publications aux frais de la collectivité locale (donc en violation de l’article L.52-8, C. élect.), dans la presse quotidienne régionale, mettant en valeur sa personne (CC n°2012-4603 AN du 29 nov. 2012). Selon le juge, « eu égard au nombre de publications, ces agissements ne peuvent être regardés comme un manquement d’une particulière gravité aux règles relatives au financement des campagnes électorales ».
Si le candidat ne « fait état d’aucune circonstance particulière de nature à expliquer la méconnaissance de cette obligation », l’inéligibilité est prononcée, et pour la durée maximale de trois ans (CC n°2012-4676 AN du 25 janvier 2013). Le Conseil d’Etat retient une interprétation des nouvelles dispositions légales aussi subtile et pragmatique que celle du Conseil constitutionnel.
Pour déterminer si un manquement est d’une particulière gravité au sens de l’article L.118-3 du Code électoral, « il incombe au juge de l’élection d’apprécier, d’une part, s’il s’agit d’un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales. D’autre part, s’il présente un caractère délibéré » (CE 23 juil. 2012, n°357453). Le caractère délibéré ou non du manquement figure dans les considérants des deux juridictions ; la nature de la règle violée également.
Cas pratiques
Mandataire financier. Pour le Conseil d’Etat, en cas de manquement aux dispositions de l’article L.52-4 du Code électoral (relatives à la désignation et au rôle du mandataire financier), « il incombe, en outre, au juge de tenir compte de l’existence éventuelle d’autres motifs d’irrégularité du compte, du montant des sommes en cause ainsi que de l’ensemble des circonstances de l’espèce » (CE 23 juillet 2012, n°357453). Faisant application de cette nouvelle méthode, le Conseil d’Etat a considéré que, même si un candidat avait engagé lui-même des dépenses (en violation de la règle réservant ce soin au mandataire financier) dans une proportion qui justifiait le rejet de son compte de campagne, pour autant l’inéligibilité du candidat ne devait pas être prononcée car « les dépenses directement acquittées par le candidat l’ont été par commodité, uniquement pour l’organisation de collations dans le cadre de sa campagne électorale, et pour un montant global qui, sans être faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne ni négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées, est demeuré limité » (même arrêt).
Absence de dépôt de compte. Le Conseil d’Etat a poussé la clémence jusqu’à considérer que « si l’absence de dépôt par un candidat de son compte de campagne constitue, en principe, un manquement de nature à justifier une déclaration d’inéligibilité, il en va autrement, notamment, lorsqu’il est établi que cette omission ne présente pas un caractère délibéré, parce que le candidat a été abusé par un mandataire dont il pouvait légitimement estimer qu’il respecterait ses obligations et qu’il s’est trouvé dans l’impossibilité, en dépit de toutes les diligences accomplies en temps utile, d’effectuer le dépôt du compte » (CE 1er juin 2012, n°345026). En l’espèce, le candidat n’est pas déclaré inéligible car il a pu prouver que son mandataire financier a refusé de lui remettre après l’élection le compte de campagne et ses justificatifs, n’a pas répondu à ses messages téléphoniques et a refusé de le rencontrer : l’absence de dépôt du compte n’était donc pas imputable au candidat, lequel avait ensuite déposé une plainte pénale contre son mandataire financier et entrepris les démarches nécessaires pour reconstituer son compte de campagne.
Omission de présentation du compte. Un autre candidat a pu convaincre le Conseil d’Etat de ne pas le déclarer inéligible au motif qu’il avait pris les dispositions nécessaires pour que son compte soit présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables et des comptables agrées et que l’omission survenue est entièrement imputable à son mandataire financier, dès lors que, par ailleurs, le montant des recettes et dépenses du compte présentait un caractère limité et que son compte de campagne ne présentait pas d’autres irrégularités (CE 11 avril 2012, n°354110).
Omission de dépenses. Confronté à une omission de dépenses dans le compte de campagne, le Conseil d’Etat a considéré que l’omission d’une dépense d’un montant de quelques dizaines d’euros (sur un total de dépenses électorales de 14 641 €) ne justifiait même pas le rejet du compte (et donc pas l’inéligibilité), ni même la réduction, comme le juge de l’élection en a désormais le pouvoir, du montant du remboursement versé par l’Etat au candidat (CE, 4 octobre 2012, n°356271).
II. Le financement de la campagne
« Dîners-débats »
Le Conseil constitutionnel valide la technique des « dîners-débats » organisés par les candidats et pour lesquels les participants règlent directement au traiteur ou au restaurateur les frais de repas : s’agit-il de dépenses électorales qui auraient dû transiter par le compte bancaire du mandataire et figurer au compte de campagne du candidat ? Non, répond le juge, dès lors que le montant acquitté par les participants n’excède pas le prix du repas (CC n°2012-4605 du 7 décembre 2012).
Avantage fourni par un parti
Le Conseil constitutionnel considère également que l’utilisation par un candidat pour les besoins de sa campagne des symboles et slogans d’un parti politique ne constitue pas un avantage fourni par ce parti ; la contrepartie financière de l’utilisation des titres et marques dont les partis sont propriétaires ne constitue donc pas une dépense devant être incluse dans le compte de campagne (CC n°2012-4636 AN du 20 novembre 2012).
Aide d’une personne morale
Les décisions rendues ont surtout été l’occasion pour le juge de préciser les cas d’application du deuxième alinéa de l’article L.52-8 du Code électoral qui prévoit que « les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».
Site internet. La diffusion, sur le site internet d’une association, du courrier adressé à son président par la candidate élue ne constitue pas un don ou un avantage d’une personne morale au financement de la campagne (CC n°2012-4616 AN du 29 novembre 2012).
Agents territoriaux. S’il résulte de l’instruction que deux employés du conseil général ont participé à la campagne d’un candidat, ces agents publics étaient en position de congé pendant toute la durée de celle-ci, de sorte que le concours qu’ils ont apporté au candidat élu ne peut être regardé comme un don de cette collectivité prohibé par les dispositions de l’article L.52-8 du Code électoral (CC n°2012-4639 AN du 20 nov. 2012 et CC n°2012-4619 AN du 7 déc. 2012). Il en va de même lorsqu’un agent public accompagne un candidat lors de diverses manifestations pendant ses jours de repos ou en dehors de ses heures de service, en continuant d’assumer normalement ses fonctions au sein de la collectivité (CC n°2012-4639 précité).
Encarts publicitaires. Le conseil général de Loir-et-Cher a fait publier les 14 avril, 12 mai et 2 juin 2012 dans le quotidien régional « La Nouvelle République » trois encarts publicitaires présentant une photographie et une citation du président du conseil général rappelant son engagement dans le soutien de plusieurs catégories d’acteurs économiques du département, ces encarts faisant la promotion de réalisations choisies dans des communes de la 3e circonscription de Loir-et-Cher où avait lieu l’élection. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette présentation « tendait à mettre en valeur la personne » du président du conseil général de Loir-et-Cher et « qu’eu égard à leur contenu et à la proximité du scrutin, ces publications doivent être regardées comme ayant une finalité électorale et, par suite, méconnaissent les dispositions de l’article L.52-8 du Code électoral », cette méconnaissance justifiant le rejet du compte de campagne du candidat (CC n°2012-4603 AN du 29 novembre 2012).
Tribunes libres. Cette décision n’est toutefois pas transposable au cas des tribunes libres de l’opposition que doit accueillir tout bulletin municipal dans les communes de 3 500 habitants (article L.2121-27-1 du CGCT). En effet, pour le Conseil d’Etat, la commune ne saurait contrôler le contenu des articles publiés dans ce cadre. Dès lors, même si le contenu de la tribune libre rédigée par l’opposition est de nature électorale, la commune ne peut pas être considérée comme ayant consenti un don aux auteurs et aucune violation de l’article L.52-8 du Code électoral ne peut alors être identifiée (CE 7 mai 2012, n°353536).
A noter – Si une publication municipale occasionnelle intitulée « La Lettre du maire » avait pu revêtir un caractère électoral, en marquant un soutien à l’un des candidats en présence, pour autant le paiement des frais de réalisation et de diffusion de ce document par le mandataire du candidat et leur inscription au compte de campagne de ce candidat ont permis d’éviter toute qualification de don interdit (CC, n°2012-4587 AN du 20 novembre 2012).
III. Les initiatives des collectivités
Respecter le principe de régularité
Cadeaux. Les cadeaux offerts à des habitants par les collectivités locales seront tolérés, même si le candidat en est l’élu sortant, s’ils revêtent un caractère traditionnel (CC n°2012-4638 AN du 18 janvier 2013).
Manifestations publiques. Un élu sortant peut être amené à y participer. Le Conseil constitutionnel confirme sa jurisprudence traditionnelle, en jugeant qu’elles ne revêtent le caractère ni d’une campagne de promotion publicitaire des réalisations de la collectivité (interdite par l’article L.52-1, C. élect.) ni de don interdit à la campagne d’un candidat (interdit par l’article L.52-8) à condition « que les différentes manifestations en cause s’inscrivent dans l’activité habituelle des collectivités territoriales ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que leur fréquence et les choix de dates témoignent d’une volonté particulière d’influencer les électeurs ; qu’elles n’ont pas été l’occasion d’une expression politique en relation directe avec la campagne électorale » (CC n°2012-4637 du 14 déc. 2012).
Ainsi, dans une autre affaire, le juge a refusé de voir un caractère électoral dans une manifestation qui « revêt un caractère traditionnel et n’a pas fait l’objet d’une modification particulière en vue des élections contestées » et au cours de laquelle « le candidat élu n’a fait aucune allusion à la campagne » (CC n°2012-4646 AN du 29 nov. 2012).
Même la distribution de roses, trois jours avant le premier tour de scrutin, sur fonds publics, a été admise quand bien même il s’agissait de l’emblème du parti du candidat élu, car cette distribution de roses, à l’occasion de la Fête des mères, avait déjà été organisée l’année précédente par la commune et « aucun élément ne permet d’établir que la distribution des roses avait un objet électoral » (CC n°2012-4646 AN du 29 novembre 2012).
Au cours de telles manifestations traditionnelles, le maire de la commune pourra même, selon le Conseil constitutionnel, rappeler la candidature d’une personne présente, dès lors que ce candidat ne prend pas la parole (CC n°2012-4588 AN du 7 décembre 2012).
A noter
Le caractère traditionnel de la manifestation n’est pas nécessairement requis pour que l’initiative soit autorisée. Ainsi sont dépourvues de caractère électoral (et donc autorisées) le « forum pour l’emploi » et la manifestation « Boostemploi » du fait de leur « objet », consistant à favoriser l’accès à l’emploi des chômeurs, et des « circonstances dans lesquelles elles se sont tenues », les élus sortants n’en ayant pas profité pour mener campagne (CC n°2012-4601, 29 novembre 2012).
La promotion du candidat
Les élus peinent parfois à apprécier la portée exacte du second alinéa de l’article L.52-1 du Code électoral qui prohibe, à compter du 1er jour du 6e mois précédant celui de l’élection le lancement d’une campagne de promotion des réalisations d’une collectivité intéressée par le scrutin.
Le Conseil constitutionnel apporte une précision utile : lorsque le candidat au scrutin à venir n’appartient pas à la collectivité dont les réalisations sont vantées, le document doit, pour tomber sous le coup de l’interdiction, faire expressément référence au candidat ou à l’élection à venir (CC n°2012-4601 précité). Cela est logique : si le candidat n’est pas membre de la collectivité dont les réalisations sont vantées, il ne peut pas bénéficier politiquement, fût-ce indirectement, de la promotion desdites réalisations.
Le Conseil d’Etat a également, de son côté, apporté une précision importante sur ce point, permettant d’éviter d’exagérer la portée de son précédent arrêt « Election régionale d’Ile-de-France » du 4 juillet 2011 : il ne suffit pas, pour qu’une initiative de communication institutionnelle viole l’article L.52-1 du Code électoral, que le message porté à la connaissance de l’électeur se rattache à un thème qui se trouvera au nombre des thèmes développés au cours de la campagne électorale par l’élu sortant. En l’espèce, si un encart dans un bulletin municipal annonce la réalisation future, dans le cadre du projet du Grand Paris, d’une gare permettant une interconnexion de voies ferrées améliorant la desserte de la commune et si la question des transports en commun était l’un des thèmes de la campagne électorale, une telle circonstance ne suffit pas à caractériser l’existence d’une campagne de promotion publicitaire des réalisations d’une collectivité publique (CE 19 octobre 2012, n°354023).