La querelle est d’ordre sémantique : pour parler du plus grand stade de la ville de Lyon, faut-il dire « le stade Gerland » ou « le stade de Gerland » ? La réponse est discutée… En revanche, il est sûr que le principal club de football de la ville, l’Olympique Lyonnais, a conquis pour la première fois de son histoire le titre de champion de France de football de première division (aujourd’hui « Ligue 1 ») au cours de la saison 2001-2002 et qu’il a renouvelé cette performance la saison dernière, en 2002-2003. Pourquoi devrait-on s’en étonner, diront certains, sachant que le président de ce club, M. Jean-Michel Aulas, est parvenu à réunir des participations financières d’un montant tel que le budget de l’Olympique Lyonnais, évalué à 100 millions d’euros, a été le plus élevé de ceux des vingt clubs en compétition ?… A examiner de plus près le classement du championnat et le budget des clubs en compétition, n’existerait-il pas une étroite corrélation entre le classement des clubs de football à l’issue du championnat de France de football et le montant de leur budget ? La question peut être posée. De fait, l’Association sportive de Monaco mise à part, qui s’est classée deuxième du championnat, avec un budget de 38 millions d’euros – officiellement -, force est de constater que les cinq premiers clubs du championnat ont un classement en rapport avec leur budget1: après Lyon, premier au classement et premier budget, arrivent l’Olympique de Marseille, troisième place en championnat et troisième budget avec 50 millions d’euros, puis les Girondins de Bordeaux, en quatrième position avec un budget identique (50millions d’euros) et le FC Sochaux, en cinquième position avec un budget plus modeste de 23 millions d’euros…

Et si l’on parvenait à transposer ces constatations aux campagnes électorales ? Et si l’on pouvait observer que plus on dispose de ressources financières, plus on dépense pour sa
campagne, plus on est en mesure de séduire les électeurs et plus on aurait de chances d’être élu ? En bref, l’argent ferait-il l’élection ?

Il serait tentant de répondre par l’affirmative à cette question en considérant le résultat des
deux dernières élections présidentielles. En 1995, M. Jacques Chirac est devenu résident de la République en disposant des ressources financières les plus élevées des neuf candidats en lice – 119 959 188 francs – , tandis que son concurrent au second tour, M. Lionel Jospin, n’a disposé que de 88 930 362 francs. De même, en 2002, des seize postulants à la charge suprême, M. Jacques Chirac, avec 18 062 090,60 €, a bénéficié des dotations financières les plus élevées en vue du financement de sa campagne, alors que M. Jean-Marie Le Pen, son adversaire au second tour, n’a été en mesure que d’y consacrer 12 126 180, 07 €.

Pourtant, une réponse aussi tranchée risque d’être tout à la fois imprudente, juridiquement
incomplète et fondamentalement problématique. Imprudente, non seulement parce que ce
qui peut être tenu pour exact pour une élection – l’élection présidentielle –, même envisagée à deux périodes différentes, n’est pas nécessairement juste pour une autre élection, les élections législatives par exemple, mais encore, parce que si l’argent fait l’élection, il reste à savoir dans quelle mesure. Juridiquement incomplète également, si l’on omet de préciser que, à supposer que l’argent fasse l’élection, ce n’est qu’à la condition que les règles relatives au financement des campagnes électorales aient été suffisamment respectées, faute de quoi le juge de l’élection défera ce que l’argent a fait…Et substantiellement problématique enfin : s’il est avéré que l’argent fait l’élection, totalement ou partiellement, qu’en est-il de l’égalité réelle entre les candidats, que devient le principe du pluralisme des courants d’opinions érigé en fondement même de la démocratie et « le caractère équitable de la représentation politique » n’est-il pas passablement malmené ? Autant d’interrogations qui invitent à examiner les choses de plus près. 

Longtemps restée à l’écart d’un mouvement entamé en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suède, en Finlande, au Québec et aux Etats-Unis, pour ne citer que quelques exemples, la France a mis en place à partir de 1988, sous la contrainte de ce qu’il est convenu d’appeler « les affaires », une législation sur le financement des partis et des campagnes électorales. Les lois organique (n° 88-226) et ordinaire (n° 86-227) du 11 mars 1988, relatives à la transparence financière de la vie politique, ont vite été complétées par la loi ordinaire (n° 90-55) du 15 janvier 1990, relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, la loi organique (n° 90-383) du 10 mai 1990, relative au financement de la campagne en vue de l’élection du Président de la République et de celle des députés, la loi (n° 93-122) du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, trois lois du 19 janvier 19956, la loi (n° 95-126) du 8 février 1995 relative à la déclaration de patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions, la loi (n° 96-5 du 4 janvier 1996) relative à la Commission pour la transparence financière de la vie politique, la loi – malheureusement ordinaire, seulement, on dira pourquoi – n° 96-300 du 10 avril 1996 tendant à préciser la portée de l’incompatibilité entre la situation de candidat et la fonction de membre d’une association de financement électorale ou de mandataire financier, suivies de la loi organique n° 2001-100 du 5 février 2001, modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, ou enfin la loi (n° 2003-327) du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, pour s’en tenir aux lois les plus importantes et ne pas alourdir exagérément notre propos en mentionnant le grand nombre de décrets jusqu’à présent intervenus, sans oublier, dans le souci de ne pas négliger l’actualité, l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, portant simplification administrative en matière électorale, qui comporte quelques dispositions intéressant les comptes de campagne (articles 2 à 8) et le financement de la vie politique (article 32), sur laquelle on aura le loisir de revenir.

Or, dans le domaine du financement des campagnes électorales, il faut bien constater que si cet impressionnant arsenal législatif assure une égalité juridique réelle entre les candidats  propre à assurer le caractère équitable de la compétition électorale, persistent et perdurent d’incontestables zones d’inégalités juridiques et surtout financières .

I. Une réelle égalité juridique entre les candidats en matière de financement des
campagnes électorales

Par touches successives, le législateur a assuré une incontestable égalité juridique entre les candidats dans le domaine du financement des campagnes électorales. Celle-ci se traduit d’une double façon. D’une part, les candidats aux élections sont soumis aux mêmes obligations (A). D’autre part, ils sont passibles des mêmes sanctions (B).

A. Les candidats sont soumis aux mêmes obligations

En matière de financement des campagnes électorales, les concurrents sont assujettis aux mêmes obligations comptables (1°) et aux mêmes obligations financières (2°).

1°) Les candidats sont assujettis aux mêmes obligations comptables

En ce qui concerne les comptes de campagne, les candidats aux élections dans toutes les circonscriptions dont la population est égale ou supérieure à 9000 habitants sont astreints à trois obligations distinctes mais complémentaires. Ils sont, en effet, tenus d’établir un compte de campagne sincère et en équilibre (a) ; ils ont aussi l’obligation de déposer un compte de campagne dans l’intégralité de ses composantes dans un délai impératif (b) ; ils ont enfin l’obligation de faire certifier ce compte par un expert-comptable agréé (c).

a) L’obligation d’établir un compte de campagne exhaustif, sincère et en équilibre

Aux termes de l’article L. 52-12 du Code électoral, chaque candidat ou candidat tête de liste pour les élections organisées au scrutin de liste majoritaire pur et simple, comme c’est le cas pour les élections cantonales), ou teinté d’une dose de proportionnelle (comme pour les élections municipales ou les élections régionales en vertu de la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003), ou à la proportionnelle, comme il en est pour les élections des représentants au Parlement européen en vertu de la même loi du 11 avril 2003, est tenu – même s’il n’a exposé aucune dépense- d’établir un compte de campagne retraçant selon leur origine l’ensemble des recettes perçues et, selon leur nature, l’ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l’élection, hors celles de la campagne officielle, par lui-même ou pour son compte au cours de la période d’un an qui précède la date à laquelle l’élection a été acquise. Dans ce compte de campagne doivent figurer les dépenses exposées directement au profit du candidat ou de la liste et avec son accord par les personnes physiques qui lui ou leur apportent leur soutien, ainsi que par les partis ou groupements politiques qui lui ou leur ont apporté leur soutien. Doivent aussi figurer dans le compte de campagne l’estimation par le candidat lui-même en recettes et en dépenses des avantages directs ou indirects, les prestations de services et dons en nature dont il a bénéficié. Ce texte met bien en évidence un point important : le compte de campagne doit être complet. Pour reprendre les termes exacts de la jurisprudence inaugurée par le Conseil constitutionnel, le compte doit être « exhaustif », sous peine d’entraîner le rejet dudit compte et l’inéligibilité du candidat concerné. L’obligation de présenter un compte exhaustif implique nécessairement que le compte de campagne doit aussi être « sincère », c’est-à-dire qu’il ne doit dissimuler ou sous-estimer aucune recette et aucune dépense à peine de provoquer le rejet du compte et l’inéligibilité du candidat fautif, voire de tout autre candidat qui aurait permis au premier nommé de contourner la législation sur le financement des campagnes électorales. En son plus récent état, le droit jurisprudentiel est toujours aussi draconien. Il convient d’ajouter que le compte de campagne doit, de plus, être réellement en équilibre ou être excédentaire au moment de son dépôt : en d’autres termes, le montant des dépenses électorales ne doit jamais, le cas échéant après réformation par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques voire par le juge de l’élection, être supérieur à celui des recettes. C’est ainsi qu’en l’absence de disposition textuelle expresse en 1990 a été interprété l’article L. 52-12 du Code électoral, avant que cette jurisprudence soit consacrée par le législateur en 1995 et qu’il est, a fortiori, appliqué aujourd’hui. A cette première obligation s’ajoute une deuxième : le compte de campagne doit être présenté, dans l’intégralité de ses composantes, dans un délai impératif. 

b) L’obligation de déposer le compte de campagne dans l’intégralité de ses composantes et dans un délai impératif

Quelle que soit l’élection, chaque candidat et donc même seulement en compétition au premier tour d’un scrutin est tenu, dans le délai impératif de deux mois à compter de la date à laquelle l’élection a été acquise de déposer son compte de campagne à la préfecture du département – depuis l’intervention de l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003 « au plus tard avant 18 heures le neuvième vendredi suivant le tour de scrutin où l’élection a été acquise » auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques directement et non plus à la préfecture (art. 6. I) – ou, pour l’élection présidentielle, au Conseil constitutionnel, accompagné de l’ensemble des pièces annexes, c’est-à-dire de l’ensemble des pièces justificatives des recettes ainsi que des factures, devis et autres documents de nature à établir le montant des dépenses payées ou engagées par lui. A cet égard, deux précisions doivent être apportées. En premier lieu, la jurisprudence se montre exigeante relativement à l’obligation de déposer le compte dans le délai prévu. En effet, sauf le cas particulier et rare où le compte de campagne est parvenu en préfecture tardivement en raison d’un délai d’acheminement anormal du courrier, tout compte enregistré tardivement, c’est-à-dire postérieurement à la date limite de dépôt est irrémédiablement rejeté suivant la doctrine de la CCFP et la jurisprudence concordante du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat. En second lieu, autant la jurisprudence est draconienne en ce qui concerne le dépôt et l’enregistrement tardifs du compte de campagne, autant elle fait montre d’une plus grande indulgence relativement à l’obligation de dépôt des pièces justificatives à la date fatidique. Il faut savoir en effet que, d’une part, la CCFP admet que les pièces justificatives lui soient adressées au cours de la phase d’instruction du compte de campagne, dont la durée est variable selon que l’élection a été ou pas contestée (dans le premier cas, le délai est de deux mois, dans le second le délai est de six mois), d’autre part, la jurisprudence accepte que certaines pièces justificatives soient apportées au cours de l’examen juridictionnel des comptes. Aussi bien, il existe de larges possibilités de régularisation devant le juge de l’élection. C’est ce qu’a admis très tôt le Conseil d’Etat et ce qu’a jugé peu après le Conseil constitutionnel.

c) L’obligation de certification du compte de campagne par un expert-comptable

Le législateur a voulu qu’un contrôle, préalable à celui exercé par la CCFP, de la régularité
et de la sincérité du compte soit assuré par un expert. C’est pourquoi l’article L. 52-12 ans
son 2ème alinéa exige que le compte de campagne et ses annexes soient présentés par un membre de l’ordre des experts-comptables et comptables agréés. En l’état actuel du droit jurisprudentiel, il s’agit d’une obligation substantielle a défaut de laquelle le compte de
campagne est de longue date et constamment rejeté et le candidat concerné déclaré temporairement inéligible.Relativement à cette obligation, il y a lieu de présenter trois observations. D’abord, contrairement à ce qu’il en est à propos de la deuxième obligation que l’on vient de traiter, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel n’admettent pas que l’absence de certification du compte de campagne au moment de son dépôt soit régularisable devant le juge de l’élection. Ensuite, la certification est une formalité qui implique l’intervention personnelle de l’expert-comptable qui se traduit par sa signature sur le document et non, simplement et seulement, l’apposition du cachet de son cabinet, la date à laquelle il a procédé à la vérification, ainsi que ses observations relatives au compte. Enfin, dans ses observations du 15 mai 2003 relatives aux élections législatives de juin 2002, le Conseil constitutionnel considère que « la nécessité de recourir à un expert-comptable (…) constitue à un sérieux obstacle et quelques matériel (outre-mer par exemple) pour certaines candidatures » et invite le législateur à « prévoir une formule moins pénalisante afin d’assurer la sincérité du compte de campagne, notamment quand le montant des dépenses est très inférieur au plafond légal. En tout état de cause, l’obligation de recourir à un expert-comptable devrait avoir pour contre-partie, ce qui n’est pas toujours le cas, la fourniture d’une véritable assistance technique au candidat » . Pour sa part, la CNCCFP dans son Septième rapport d’activité 200227, après avoir observé que l’absence de visa de l’expert-comptable a été le premier motif de rejet des comptes de campagne des candidats aux élections législatives de 2002 (152 sur 308 soit 49,3 %) recommande « d’infléchir le dispositif en vigueur et de supprimer l’obligation du visa de l’expert-comptable pour des comptes ne présentant ni recette ni dépense (et) suggère pour les comptes « zéro » de se contenter de la signature du candidat ». Et c’est en s’inspirant de cette suggestion, mais en s’en écartant cependant quelque peu, que les auteurs de l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003 ont modifié l’article L. 52-12 dans son 2ème alinéa. Désormais en effet, la présentation du compte de campagne par un expert-comptable agréé « n’est pas nécessaire lorsque aucune dépense ou recette ne figure au compte de campagne. Dans ce cas, le mandataire établit une attestation d’absence de dépense et de recette » (art. 6. II).

Mais les candidats ne sont pas seulement assujettis aux mêmes obligations comptables ; ils sont aussi soumis aux mêmes obligations financières.

2°) Les candidats sont soumis aux mêmes obligations financières

Ces obligations financières sont au nombre de trois.

a) L’obligation de principe de désigner un mandataire financier

En premier lieu, le candidat ou la tête de liste a l’obligation de principe de désigner un mandataire financier et un seul. Pourquoi faut-il écrire une « obligation de principe », ce qui laisse entendre qu’il existe nécessairement des exceptions ? Parce que la loi a été interprétée jusqu’à présent par la CCFP – sans que celle-ci soit contredite par la jurisprudence – comme signifiant que la désignation d’un mandataire financier n’est pas obligatoire lorsque le candidat finance sa campagne électorale à l’aide de ses seuls fonds propres, ses propres apports personnels. Il faut bien saisir le sens de cette règle : un candidat peut parfaitement financer sa campagne électorale sans faire appel à la générosité de donateurs ; dans ce cas, dès lors qu’il ne recueille aucun don, il peut se dispenser de désigner un mandataire financier. En revanche, s’il reçoit des dons de la part de personnes physiques, ces fonds devant nécessairement transiter par un mandataire financier, la désignation du mandataire devient indispensable. Néanmoins, il n’est pas impossible – expliquions-nous lors de notre communication orale au Colloque du 17 octobre 2003 – que la désignation d’un mandataire financier devienne, à l’avenir, une obligation tout à fait générale qui n’appelle plus à distinguer selon que le candidat finance sa campagne électorale sur ses seuls fonds propres ou en faisant appel aux dons des personnes physiques. En effet, le Conseil constitutionnel dans ses observations du 15 mai 2003, « considère que la désignation d’un mandataire financier devrait être rendue obligatoire dans tous les cas, intervenir avant le paiement des premières dépenses de campagne et ne plus être liée, comme aujourd’hui, à l’acceptation de dons de personnes physiques ». La CCFP ne tient plus aujourd’hui un discours différent. Dans son Septième rapport d’activité 2002, elle écrit pour sa part : « La loi devrait imposer la désignation d’un mandataire financier à tout candidat dès le début de la campagne. Toutes les recettes de la campagne et toutes les dépenses devraient figurer dans le compte produit par le mandataire, appuyés des pièces justificatives nécessaires »28. Or, il nous semble que les recommandations du Conseil constitutionnel et de la CNCCFP ont été prises en compte. En effet, l’article 2 de l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, dans son premier alinéa, en portant que « tout candidat à une élection désigne un mandataire financier au plus tard à la date à laquelle sa candidature est enregistrée », rend dorénavant obligatoire la désignation d’un mandataire financier sans qu’il soit nécessaire de distinguer selon que le candidat finance ou non sa campagne électorale sur ses fonds propres. On y gagne assurément en simplicité et en transparence… Cela étant, faisons connaissance avec ce mandataire financier. Qui est-il ? Que fait-il ?

Tout d’abord, qui est-il ? Le mandataire financier est, selon la volonté du candidat, soit une personne physique, soit une personne morale ; il s’agit alors d’une association de financement électorale (AFE) ; sur ce point, l’article 2 alinéa 1er de l’ordonnance du 8 décembre 2003 n’apporte aucun changement à l’état du droit, de même qu’il n’apporte aucune modification à la rédaction antérieure de l’article L. 52-4 alinéa 1er en portant qu’« un même mandataire ne peut être commun à plusieurs candidats ». Le législateur ayant été soucieux de distinguer nettement la qualité de candidat et les fonctions de mandataire financier, ce dernier doit ne pas être candidat ou remplaçant d’un candidat s’il s’agit d’une élection législative. Il existe donc une incompatibilité entre la qualité de candidat et celle de mandataire financier. Cette question a fait l’objet d’un contentieux très délicat à l’occasion des élections municipales de 1995. A l’époque, une centaine de maires avaient désigné comme mandataire financier, personne physique ou membres des organes dirigeants de l’association de financement électorale un membre de leur liste. Or, tandis que certains tribunaux administratifs avaient jugé qu’il était juridiquement impossible donc irrégulier de cumuler la qualité de candidat à une élection municipale avec celle de mandataire financier, d’autres tribunaux administratifs, comme ceux de Paris ou de Poitiers avaient été d’un avis contraire, en considérant, pour le premier, que l’incompatibilité des fonctions de mandataire financier avec la qualité de candidat d’une liste « ne concerne, en cas de scrutin de liste, que le candidat tête de liste, seul responsable, en vertu de l’article L. 52-12 du C. élect., de la tenue et du dépôt du compte de campagne »31, pour le second, que « les dispositions combinées des articles L. 52-4 et L. 52-6 du C. élect. (…) n’interdisent pas expressément qu’un candidat figurant sur une liste et non tête de liste soit également le mandataire financier de la liste »32. L’enjeu était important. Si le cumul était possible, le compte de campagne des candidats concernés était approuvé et, par suite, aucune sanction financière et électorale ne pouvait être légalement prononcée. Mais si, au contraire, le cumul était jugé illégal, le compte de campagne encourrait le rejet et le candidat tête de liste devait être déclaré inéligible avec toutes les autres conséquences que cette incapacité emporte et sur lesquelles nous reviendrons. Pour résoudre ce délicat problème juridique et apaiser les passions que cette question souleva dans la classe politique, le Conseil d’Etat fut saisi pour avis par le tribunal administratif de Lille, dans une affaire Elections municipales de Fourmies. Par un avis contentieux du 5 février 1996 – le fameux avis Batteux – rendu aux conclusions partiellement conformes de M. Jean-Denis Combrexelle, le Conseil d’Etat dans sa formation la plus solennelle a adopté la solution la plus draconienne qui soit : le cumul est illégal ; le compte de campagne doit être rejeté, la tête de liste est inéligible pour une durée d’un an ainsi que le mandataire financier personne physique et tous les membres de la liste qui occupaient au sein de l’association de financement électorale des fonctions dirigeantes ; l’élection des candidats concernés est annulée ou, si l’élection n’a pas été contestée, les membres de la liste sont déclarés démissionnaires d’office… Cet avis contentieux ayant été mal accepté par les élus, M. Pierre Mazeaud fut à l’origine d’une proposition de loi salvatrice, adoptée par le Parlement et devenue la loi n° 96-300 du 10 avril 1996, ayant pour effet, sans remettre en cause les décisions de justice revêtues de l’autorité de chose jugée, de sauver les têtes de listes décapitées. Dans le même temps, était adoptée une disposition, respectueuse de l’avis du Conseil d’Etat, aux termes de laquelle, désormais, le cumul de la qualité de candidat avec les fonctions de mandataire financier personne physique ou avec celles de membre de l’AFE est définitivement prohibée. De sorte que, en droit jurisprudentiel positif, si cette règle de non-cumul est transgressée, le compte de campagne est rejeté et les candidats concernés déclarés inéligibles. Ajoutons, pour être complet sur ce point, que l’expert-comptable, chargé de présenter et certifier le compte de campagne, ne peut être mandataire financier non plus que président et trésorier de l’AFE (art. L. 52-5 et L. 52-6 C. élect.). Voilà donc ce que doit ne pas être le mandataire financier et, sous ces réserves, le mandataire financier personne physique ou les membres de l’AFE peuvent légalement être toutes autres personnes physiques, librement désignées par le candidat et déclarées en préfecture selon les règles habituelles du contrat d’association prévues par la loi du 1er juillet 1905, qui constituent des formalités substantielles dont la violation entraîne le rejet du compte et l’inéligibilité du candidat négligent.

Ensuite, que fait-il ? Ses fonctions et responsabilités ne sont assurément pas négligeables. Il est, en premier lieu, tenu d’ouvrir un compte bancaire ou postal retraçant la totalité de ses opérations financières (art. L. 52-6 al. 2 C. élect.). La méconnaissance de cette obligation est sanctionnée par le rejet du compte de campagne et l’inéligibilité du candidat. En deuxième lieu, c’est lui qui recueille les fonds pendant l’année qui précède l’élection (art. L. 52-6 alinéa 3 C. élect.) ; plus précisément désormais, en application de l’article L. 52-4, dans la rédaction donnée à ce texte par l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003 (article 2), « le mandataire recueille, pendant l’année précédant le premier jour du mois de l’élection et jusqu’à la date du dépôt du compte de campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne ». Cette précision est bienvenue : elle fait directement suite à une suggestion faite récemment par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques qui n’a pas manqué de faire observer que « de même que les partis politiques peuvent effectuer des apports jusqu’à la date de dépôt des comptes, les personnes physiques devraient pouvoir en effectuer jusqu’à cette date. Seraient donc irréguliers les dons de personnes physiques postérieurs au dépôt du compte (attestés par les documents comptables), ce qui éviterait la procédure largement factice des promesses de dons avant le scrutin »37. Enfin, c’est à lui que revient le soin de payer les dépenses électorales. C’est ce que prévoit, avec les réserves que la jurisprudence avait admises, la nouvelle rédaction de l’article L. 52-4 du C. élect. : « Il règle les dépenses engagées en vue de l’élection et antérieures à la date du tour de scrutin où elle a été acquise, à l’exception des dépenses prises en charge par un parti ou groupement politique . Les dépenses antérieures à sa désignation payées directement par le candidat ou à son profit font l’objet d’un remboursement par le mandataire et figurent dans son compte bancaire ou postal » (art. 2 de l’ordonnance du 8 décembre 2003). Toutes les dépenses ? La réponse de principe est affirmative, du moins si l’on s’en tient au droit jurisprudentiel antérieur à l’ordonnance du 8 décembre 2003. Mais la jurisprudence a évolué à cet égard.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a jugé que la totalité des dépenses devaient être réglées par le mandataire financier. Pour la Haute juridiction administrative en effet, l’article L. 52-4 du code électoral imposant au candidat de recourir à un mandataire financier pour le règlement de toutes les dépenses effectuées en vue de la campagne électorale a institué une formalité substantielle à laquelle il ne peut être dérogé. C’est dès lors à bon droit que la CCFP a rejeté un compte de campagne lorsque les dépenses occasionnées par la campagne électorale ont été payées directement par un membre de la liste et non par l’intermédiaire du mandataire financier. Depuis lors, et actuellement, la jurisprudence fait montre d’une certaine souplesse. Elle admet ou tolère que « pour des raisons pratiques », le candidat règle personnellement des dépenses de campagne à la double condition que le montant global de ces règlements soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et négligeable au regard du plafond des dépenses fixé
dans la circonscription.

A cette première contrainte s’ajoutent des obligations très strictes en matière de collecte des fonds.

b) Les obligations en matière de collecte des dons

A ce titre, les obligations sont de trois sortes. Elles se rapportent, en effet, à l’origine des dons, à leur montant et aux modalités de leur versement.

L’origine des dons. En l’état actuel de la législation, qui a son siège principal dans les dispositions de l’article L. 52-8 du code électoral, seuls sont autorisés les dons émanés des personnes physiques. C’est une règle de principe qui a pour immédiate conséquence de proscrire, sous la réserve d’importance qui suit, les dons des personnes morales de droit privé, des personnes morales de droit public et des personnes morales de droit étranger. Le législateur a entendu interdire par la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 (art. 4)43 les concours financiers des entreprises principalement qui, il est vrai, finançaient les campagnes électorales des candidats de Gauche comme de Droite et, pour les plus riches d’entre elles, à la fois les premiers et les seconds à l’occasion d’une même sélection…L’interdiction des dons des personnes morales ne souffre qu’une seule exception : les partis ou groupements politiques sont expressément autorisés à participer au financement des campagnes électorales par l’article L. 52-8, 2ème alinéa, du code électoral. Quoi de plus normal et naturel ? Encore faut-il définir ce qu’est un parti ou un groupement politique. C’est chose facile et connue en science politique, mais ce n’est pas aussi simple en droit électoral ou, plus exactement, en droit des financements politiques et électoraux… En 1993, le Conseil d’Etat a pris en considération trois éléments pour définir un parti politique au sens de l’article L. 52-8 du code électoral : il faut tenir compte des buts du groupement, de l’association, tels qu’ils résultent de ses statuts, de ses activités et de son fonctionnement. Mais la jurisprudence Faureau a été abandonnée par le Conseil d’Etat dans son arrêt d’assemblée Elections municipales de Fos-sur-Mer en 199645. Depuis lors, il est constamment jugé qu’eu égard à l’objet de la législation relative, d’une part, à la transparence financière de la vie politique, d’autre part, au financement des campagnes électorales et à la limitation des dépenses électorales, une personne morale de droit privé qui s’est assigné un but politique ne peut être regardée comme un parti ou groupement politique au sens de l’article L. 52-8 du C. électoral que si, pour faire bref, elle bénéficie de l’aide publique ou a désigné un mandataire financier, personne physique ou association de financement électorale agréée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et a transmis à cette dernière ses comptes annuels visés par deux commissaires aux comptes. Cette définition des partis et groupements politiques, qui s’éloigne de beaucoup de celle que lui donnent les politologues et qui présente comme singularité – on l’observera au passage – de définir une notion par le régime juridique qui lui est applicable, ne soulève guère de difficultés en jurisprudence. Néanmoins, le Conseil constitutionnel et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques sont en total désaccord sur un point. La Commission s’évertue, depuis des années, à rejeter les comptes de campagne qui font apparaître que des financements partisans ont été effectués par des structures territoriales des partis politiques qui ne figurent pas dans le périmètre de certification défini par les partis et soumis au visa des commissaires aux comptes – ce qui peut aisément se comprendre, eu égard aux missions de la Commission – , alors que le Conseil constitutionnel, faisant preuve d’une plus grande indulgence, juge au contraire que les sections locales et des fédérations départementales d’un parti politique n’étant que des représentations locales de ce parti, qui répond lui-même à la définition jurisprudentielle que l’on a rappelée, les dons que ses sections et fédérations consentent à un candidat ne sont pas proscrits. Le désaccord n’est cependant pas insurmontable, car un rapprochement des deux « doctrines » est clairement envisagé par le Haut Conseil et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. En effet, désireux de « ne pas ouvrir une brèche dans laquelle pourraient s’introduire des aides illicites », le Conseil constitutionnel estime qu’ « il serait souhaitable que le législateur intervienne de nouveau, soit en limitant aux fédérations départementales des partis nationaux la possibilité d’apporter une aide financière à leurs candidats, soit en imposant une stricte consolidation des comptes des différentes composantes d’une formation politique, soit ne prévoyant des formalités permettant à la CCFP d’exercer sa surveillance sur toutes les structures d’un parti ». C’est la raison pour laquelle dans son Septième rapport d’activité 2002 publié en octobre 2003, « la Commission suggère qu’une disposition législative expresse précise que les structures des partis politiques finançant les campagnes électorales doivent figurer dans le périmètre comptable soumis à la certification des commissaires aux comptes » et se félicite que le Conseil constitutionnel « manifeste l’intention de modifier sa position dans le même sens que la Commission »

Le montant des dons des personnes physiques. Le montant des dons provenant des personnes physiques est plafonné. En l’état actuel du droit, il est fixé à 4 600 € (soit 30 174,02 francs, c’est-à-dire à un niveau légèrement supérieur à ce qu’il était initialement [3000 francs]). Cette règle, qui est comprise comme autorisant une seule et même personne physique à financer la campagne d’un ou plusieurs candidats à une même élection pour un montant total de 4 600 € et non comme lui permettant de contribuer au financement de tout candidat à une même élection pour un montant n’excédant pas à chaque fois 4 600 €, est aujourd’hui le plus souvent respectée. C’est ainsi par exemple que, à l’occasion de l’examen des comptes de campagne des candidats aux élections législatives de 2002, la CNCCFP a relevé que deux comptes seulement, sur les 308 qui ont été rejetés, présentaient des dons de personnes physiques supérieurs à 4 600 € (soit 0,60 % des causes de rejet). Lorsque cette obligation est méconnue, le compte de campagne est évidemment rejeté et le fautif encourt les sanctions dont on traitera plus loin.

Les modalités de versement des dons. Les modalités de versement des dons sont précisées par les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 52-8 du C. élect. . Selon le premier de ces textes, « tout don de plus de 150 €, soit 983,94 F (ancien montant 1 000 F), consenti à un candidat (…) doit être versé par chèque » (ce qui signifie a contrario que tout don d’un montant inférieur peut être versé en espèces, sous réserve cependant de respecter la condition posée par le 4ème alinéa, exposée ci-après), et ce sous peine de rejet du compte de campagne. Quant au quatrième alinéa de l’article L. 52-8, il précise simplement que « le montant global des dons en espèces faits au candidat ne peut excéder 20 % du montant des dépenses autorisés lorsque ce montant est égal ou supérieur à 15 000 € (ancien montant 100 000 F) en application de l’article L. 52-11 ». 

Mais, s’il est une obligation propre à assurer une réelle égalité des chances entre les candidats, c’est bien celle – la plus connue – qui contraint les concurrents à ne pas engager des dépenses excédant le plafond des dépenses électorales.

c) L’obligation de ne pas dépasser le plafond des dépenses électorales

Le plafond des dépenses électorales varie suivant les élections, le nombre de tours de scrutin, est le plus souvent fonction de la population dans la circonscription et fait l’objet d’une actualisation périodique, tous les trois ans par décret (V. art. L. 52-11 du C. élect.). C’est probablement d’ailleurs la raison pour laquelle le plafond des dépenses électorales pour les élections présidentielles, qui avait été fixé par la loi organique n° 2001-100 du 5 février 2001 à 13,7 millions d’euros pour le premier tour et à 18,3 millions d’euros pour le second tour, a été relevé par décret à 14,796 millions d’euros pour le premier tour et à 19,764 millions d’euros pour le second tour. La crainte des sanctions électorales, comptables, financières voire pénales, est telle que, pour les dernières élections présidentielles et législatives de 2002 aucun des candidats à l’élection présidentielle et un seul des 8444 candidats aux élections législatives n’a officiellement dépassé le plafond des dépenses électorales. Cela suggère que, soumis aux même obligations, les candidats qui les méconnaissent sont passibles des mêmes sanctions.

B. Les candidats sont passibles des mêmes sanctions

De nature très différente, les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des candidats fautifs ou négligents sont de quatre ordres. Aux sanctions comptables (1°) et financières (2°), s’ajoutent des sanctions électorales (3°) voire pénales (4°).

1°) La sanction comptable : le rejet du compte de campagne

Par sanction comptable, il faut entendre le rejet du compte de campagne. Or, si avant 1995, toute violation même involontaire de la législation sur le financement des campagnes électorales entraînait le rejet systématique du compte de campagne du candidat concerné (a), il n’en va plus de même depuis (b).

a) Le rejet systématique et de principe avant 1995

Ainsi que nous l’avions montré dans des travaux publiés à cette époque, la ligne directrice de la jurisprudence pendant la période allant des débuts de l’application de la première loi relative au financement des campagnes électorales jusqu’à la fin de l’année 1995 était caractérisée par une grande fermeté. L’orientation de principe qui s’en dégage est que toute méconnaissance des règles conduisait au rejet automatique du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, rejet automatique quasiment constamment confirmé par les tribunaux administratifs, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel obligatoirement saisis en leur qualité de juge de l’élection. En plus des cas qui ont été précédemment cités, on peut signaler qu’entraînaient le rejet du compte de campagne le fait que ce document ne soit accompagné d’aucune justification des recettes recueillies au profit d’un candidat ou d’une liste ou ne fasse pas apparaître la provenance de recettes, les moyens par lesquels le financement de l’intégralité des dépenses a été assuré, ou dans lequel il est fait état d’un apport personnel destiné à couvrir le solde des dépenses, dès lors qu’il n’est pas établi que cet apport a été effectué dans le délai prescrit par l’article L. 52-12 du C. élect. , ou dans lequel la provenance d’une recette de 100 000 francs au titre des avantages directs ou indirects, prestations de services ou dons en nature demeure inexpliquée. Il serait possible de multiplier les exemples à volonté sinon à l’infini…

b)Le rejet non automatique depuis 1995

La fin de l’année 1995 allait marquer un très important et notable infléchissement de la jurisprudence sur l’initiative du Conseil d’Etat dans une de ses formations les plus solennelles. En effet, par un arrêt Elections cantonales de La Côte Radieuse en date du 29 décembre 1995, rendu contrairement aux conclusions du commissaire du gouvernement J.-D. Combrexelle, la Section du contentieux « découvre » que la loi sur le financement des campagnes électorales ne définit pas les cas dans lesquels un compte de campagne doit être rejeté, réserve faite de l’hypothèse où le compte de campagne n’a pas été déposé dans les conditions et délais prescrits en application (en l’espèce) des dispositions des articles L. 118-3 et L. 197 du code électoral. Ainsi, le fait qu’un candidat ait bénéficié d’avantages en nature de la part d’une collectivité publique n’a pas pour effet d’entraîner nécessairement le rejet de son compte de campagne. En d’autres termes, la CNCCFP et le juge de l’élection disposent d’une marge d’appréciation. C’est ainsi par exemple qu’il a été jugé que si les avantages en nature consentis par une collectivité publique à un candidat doivent être regardés comme des dons et être inscrits ou réintégrés dans les comptes de campagne, aucune disposition alors applicable du code électoral n’a pour effet d’entraîner dans une telle hypothèse le rejet du compte ou encore qu’aucune disposition législative n’oblige la CNCCFP à rejeter le compte de campagne d’un candidat faisant apparaître qu’il a bénéficié de la part de personnes morales d’un avantage prohibé, mais qu’il lui appartient d’apprécier si, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles le don a été consenti et de son montant, sa perception doit entraîner le rejet du compte. Cela étant, le rejet du compte continue d’être prononcé à juste titre et automatiquement, par exemple en cas de compte déficitaire, lorsque le candidat a réglé directement des dépenses électorales d’un montant élevé ou lorsque ne figurant pas dans le compte des factures d’impression de divers documents non payées par le candidat. 

Le rejet du compte de campagne emporte aussi des sanctions financières.

2°) Les sanctions financières

Le rejet du compte de campagne est susceptible d’entraîner diverses sanctions financières : la perte du droit au remboursement des dépenses électorales (a) ; l’obligation de rembourser l’avance consentie par l’Etat éventuellement ; le cas échéant le versement au Trésor public de l’excédent des dépenses électorales (c).

a) La perte du droit au remboursement des dépenses électorales

Le rejet (à bon droit) du compte de campagne entraîne tout d’abord sur le plan financier la perte du droit au remboursement par l’Etat des dépenses électorales. C’est une sanction d’une grande importance pratique pour les candidats sur laquelle il n’est pas nécessaire d’insister. En revanche, il est utile de préciser que le montant maximum du remboursement connaît pour plafond 50 % du montant des dépenses électorales et qu’il ne peut excéder le montant des dépenses personnelles du candidat telles que retracées dans son compte (art. L. 52-11, 1er alinéa C. élect.) – ce qu’énonce avec clarté, et en mettant opportunément fin à l’incompréhension de nombreux candidats parfois décontenancés par les décisions préfectorales relatives au remboursement, l’article 4 de l’ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, aux termes duquel « ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses réglées sur l’apport personnel des candidats et retracées dans leur compte de campagne ».

b) L’obligation éventuelle de rembourser l’avance consentie

Ensuite, la perte du droit au remboursement emporte, dans un cas notable – celui de l’élection présidentielle – l’obligation pour le candidat dont le compte de campagne a été rejeté à juste titre de rembourser l’avance consentie avant l’élection. C’est ainsi que, en application de l’article 4 de la loi organique n° 2001-100 du 5 février 2001, modifiant l’article 3. V. de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, que M. Bruno Mégret, après que le Conseil constitutionnel a rejeté son compte de campagne pour l’élection présidentielle de 2002, a été tenu de rembourser l’avance de 153 000 € qui lui avait été consentie par l’Etat au début de la campagne électorale, la haute instance ayant estimé que les irrégularités commises n’étaient ni non intentionnelles, ni de portée très réduite.

c) L’obligation de verser au Trésor public le montant en excédent du plafond des
dépenses électorales

Dans le cas où un candidat élu ou non élu a dépassé le plafond des dépenses électorales fixé dans la circonscription, il est tenu, après décision juridictionnelle définitive constatant ce dépassement, de verser au Trésor public la somme correspond au montant de ce dépassement. C’est dans cette situation que se sont trouvés MM. Lang et Pierre-Bloch en 1993 lorsque le Conseil constitutionnel a constaté que ces deux candidats avaient engagé des dépenses excédant très sensiblement le plafond autorisé dans les circonscriptions où les avaient été élus députés. Cette décision de versement au Trésor public est prise par la
CNCCFP (art. L. 52-15, dernier alinéa du C. élect.) et est susceptible d’un recours de plein
contentieux ordinaire devant le tribunal administratif et non devant le Conseil d’Etat. Le jugement du tribunal administratif peut être contesté par la voie de l’appel devant la cour administrative d’appel. Un pourvoi en cassation contre l’arrêt d’appel est possible devant
le Conseil d’Etat.

A ces sanctions financières, dont la perte du droit au remboursement des dépenses électorales est la principale et la plus redoutée, s’ajoutent des sanctions électorales également très redoutées, comme on s’en doute, de tous les candidats…

3°) Les mêmes sanctions électorales

En cas de rejet de leur compte, les candidats encourent deux sanctions : une inéligibilité temporaire d’un an et l’impossibilité juridique qui en résulte d’être candidat à une élection (a), d’une part, ainsi que la perte du mandat électif détenu en cas d’élection du candidat fautif, d’autre part (b. A cela s’ajoute, dans certains cas, une « sanction » particulière qui est plutôt une conséquence assez singulière de l’inéligibilité qu’une véritable sanction : la proclamation du suivant de liste (c)…

a) L’inéligibilité temporaire d’un an et l’impossibilité d’être candidat

Réserve faite de l’élection présidentielle pour laquelle le rejet du compte n’entraîne pas cette sanction, l’inéligibilité temporaire d’un an est, en principe, la sanction électorale qui frappe le candidat ou la tête de liste, en cas d’élection au scrutin de liste, qui, pour avoir transgressé la législation sur le financement des campagnes électorales, a vu son compte de campagne rejeté, étant toutefois entendu que l’inéligibilité peut ne pas être prononcée, lorsque le compte de campagne a été rejeté par suite d’un dépassement du plafond des dépenses électorales (V. notamment art. L 118-3 alinéa 1er et L.O. 128 alinéa 2 C. élect.). Dans l’hypothèse considérée, le Conseil constitutionnel a statué que le compte de campagne encourait le rejet – et le candidat l’inéligibilité annale – lorsque le plafond des dépenses électorales avait été sensiblement dépassé. Telle fut la solution dans deux affaires retentissantes concernant respectivement M. Pierre-Bloch, pour un dépassement de 17,79 %68 ramené à 12,71 % quelques jours après, et M. Jack Lang, pour un dépassement de 17, 06 %. Pour sa part, et à titre d’exemple, le Conseil d’Etat juge qu’un dépassement de plus de 9 % du plafond des dépenses justifie à lui seul l’inéligibilité d’un an De sorte que, en cas de dépassement du plafond, le juge de l’élection dispose d’une marge d’appréciation et s’abstient de déclarer le fautif inéligible temporairement si le montant du dépassement est, par lui, regardé comme faible.

Quoi qu’il en soit, l’inéligibilité est une sanction grave évidemment, très mal ressentie par les candidats qui en sont frappés, car elle a des effets politiques dévastateurs auprès des électeurs qui ne font pas le départ entre les irrégularités assez vénielles à tout prendre, comme un dépôt tardif du compte de campagne par exemple, et d’autres violations de la législation, comme la dissimulation de dépenses ou un fort dépassement du plafond des dépenses électorales. C’est aussi une sanction en fait plus longue qu’elle ne l’est en droit, puisque, applicable par catégorie de mandat, l’inéligibilité empêche en pratique et par exemple un maire de redevenir maire avant six ans et un député de reconquérir un mandat parlementaire avant cinq ans, sauf – on peut toujours espérer – dissolution de l’Assemblée nationale entre temps. Sans doute, l’intéressé peut-il espérer voir sa « bonne foi » reconnue pour échapper à l’incapacité, mais, eu égard au droit jurisprudentiel très restrictif dans la reconnaissance de la bonne foi, il ne faut pas trop « rêver », si l’on peut risquer l’expression, et ce d’autant plus que la « bonne foi » ne peut être invoquée par un candidat à une élection législative… En bref, on l’aura compris, la déclaration d’inéligibilité emporte, de façon générale, l’impossibilité de se porter candidat à l’élection qui sera organisée en cas d’annulation de l’élection du candidat déclaré inéligible ou de sa démission d’office.

b) La perte du mandat électif détenu

La perte du mandat électif détenu est la sanction complémentaire qui touche le candidat ou la tête de liste élue, en plus de son inéligibilité. De jure, elle intervient soit à la suite de l’annulation de l’élection de l’intéressé, soit de sa démission d’office. D’une part, il y a lieu à annulation de l’élection du candidat dont le compte de campagne a été rejeté lorsque son élection a été contestée par un recours électoral classique. D’autre part, la démission d’office du candidat proclamé élu est prononcée par le juge lorsque son élection n’a pas été contestée. La distinction apparaîtra subtile au profane, mais le résultat est le même… 

c) La proclamation du suivant de liste

L’ultime sanction électorale du rejet du compte est particulière aux élections au scrutin de liste et l’on peut se demander s’il s’agit d’une véritable sanction… Le Conseil d’Etat juge en effet que, lorsque le candidat tête de liste est devenu inéligible à la suite du rejet du compte de campagne de la liste qu’il conduisait et que son élection a été annulée ou qu’il a été déclaré démissionnaire d’office, il doit être remplacé dans ses fonctions, d’élu municipal par exemple et notamment, par le premier candidat non élu de la liste qu’il conduisait. Peut-on s’autoriser à dire que, ce faisant, le Conseil d’Etat juge mal ? Cette
« sanction » heurte le bon sens, d’abord, car la sanction électorale se transforme en fait en « prime » électorale pour la liste qui a méconnu la législation sur le financement des campagnes électorales. En droit, ensuite, la solution est choquante puisque la Haute assemblée fonde cette jurisprudence sur les dispositions de l’article L. 270 du code électoral, qui prévoient effectivement le remplacement de l’élu inéligible pour quelque cause que ce soit par le premier non élu de la liste, alors que l’intention du législateur ne pouvait être d’appliquer ce texte à l’hypothèse considérée d’une violation des règles concernant le financement des campagnes électorales qui datent des années 90, puisque ce texte remonte à la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982… Au vrai, ne serait-il pas plus juste de laisser le siège vacant  ?…

En plus de ces sanctions électorales, les candidats sont passibles des mêmes sanctions
pénales.

4°) Les mêmes sanctions pénales

Les incriminations en la matière ont leur siège principal dans les dispositions de l’article L. 113-1 du code électoral issues de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990. Aux termes du I de ce texte, « sera puni d’une amende de 3750 € et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui : 1° Aura, en vue de financer une campagne électorale, recueilli des fonds en violation des prescriptions de l’article L. 52-4 ; 2° Aura accepté des fonds en violation des dispositions de l’article L. 52-8 ou (en vertu de la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000) L. 308-1 ; 3° Aura dépassé le plafond des dépenses électorales fixé en application de l’article L. 52-11 ; 4° N’aura pas respecté les formalités d’établissement du compte de campagne prévues par les articles L. 52-12 et L. 52-13 ; 5° Aura fait état, dans le compte de campagne ou dans ses annexes, d’éléments comptables sciemment minorés ». Le II de l’article L. 113-1 vise, quant à lui, non plus les candidats mais les donateurs. En effet, il prévoit que « sera puni d’une amende de 3750 € et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura, en vue d’une campagne électorale, accordé un don en violation des dispositions de l’article L. 52-8 » et ajoute que « lorsque le donateur sera une personne morale, (ces dispositions) seront applicables à ses dirigeants de droit ou de fait ». Enfin, dans son III, le même article L. 118-3 dispose que sera puni des mêmes peines, « quiconque aura, pour le compte d’un candidat ou d’un candidat tête de liste, sans agir sur sa demande, ou sans avoir recueilli son accord exprès, effectué une dépense de la nature de celles prévues à l’article L. 52-12 ». Et c’est sur le fondement de ces dispositions qu’a été jugé passible d’une peine d’amende de 8000 francs un candidat qui avait reçu des dons de sociétés ayant leur siège social à Monaco, alors même qu’il ne serait pas démontré que les sommes ainsi versées auraient été dépensées à des fins électorales et qu’a été puni d’une amende de 4000 francs un candidat à des élections cantonales qui avait négligé, d’une part, de déposer ses comptes de campagne en préfecture dans sept cantons, d’autre part, de respecter les formalités d’établissement de ses comptes dans cinq autres cantons. Plus récemment encore, deux ans d’inéligibilité et un an de prison avec sursis ont été requis le 16 décembre 2003 contre M. Bruno Mégret, jugé avec cinq autres personnes pour « complicité et recel d’abus de biens sociaux », « complicité de faux en écritures privées » et « infraction aux règles de financement des partis politiques » (selon Le Monde) et « irrégularités commises lors du financement de campagnes électorales » (selon Le Figaro) devant le tribunal correctionnel de Marseille ; le procureur a également requis une amende de 10 000 € contre le responsable politique ainsi qu’une amende de 50 000 € à l’encontre du MNR, personne morale ; le jugement sera rendu le 26 janvier 2004.

C’est de la façon qui vient d’être exposée, dans ses grandes lignes, qu’est assurée d’une manière tout à la fois large, très complète et minutieuse, l’égalité des candidats en matière de financement des campagnes électorales. Pourtant, il existe ou subsiste des inégalités dans ce domaine.

II. L’existence d’inégalités entre les candidats en matière de financement des campagnes électorales

Des zones d’inégalités juridiques (A) et de fortes disparités et inégalités financières (B) subsistent entre les candidats aux élections.

A. Des zones d’inégalités juridiques

A y regarder de près, des zones d’inégalités juridiques entre les candidats sont observables à trois niveaux différents : d’abord, dans le traitement administratif de la situation financière des candidats par la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques (1°), ensuite, dans le traitement juridictionnel des comptes de campagne (2°), enfin, dans la législation financière électorale (3°).

1°) Des îlots d’inégalités juridiques dans le traitement administratif de la situation financière des candidats par la CNCCFP

Dans le traitement de la situation financière des candidats aux élections par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, il est possible de discerner certaines inégalités juridiques. On voudrait se borner ici à en relever seulement deux.

a) Tous les comptes de campagne ne sont pas toujours examinés

Il n’est pas normal et par suite il est injuste – et donc inéquitable – que pour des raisons tenant à ce que la Commission qualifie pudiquement de « multiples difficultés matérielles »79, qui tiennent à des modifications du système informatique, à l’ « encombrement des lignes téléphoniques dans certaines régions et d’une manière générale à l’insuffisance de débit sur la ligne Intranet de la Commission », les retards fréquents dans la desserte postale notamment, 140 comptes de candidats aux élections municipales et cantonales de 2001 n’aient pas été contrôlés dans les délais impartis à la Commission. Cette situation, qui concerne 3 % de l’ensemble des comptes, a des conséquences regrettables. On peut concevoir que si l’annulation d’une élection cantonale
est prononcée par le juge de l’élection et qu’une nouvelle élection est alors et par suite organisée, puisse se présenter un candidat dont le compte de campagne n’a pas été examiné, alors que le compte de campagne de ce dernier aurait pu ou dû être rejeté et son inéligibilité prononcée. Le même raisonnement vaut pour les élections législatives, spécialement celles de 2002, à l’occasion desquelles 1 compte (sur 8444, soit 0,01 % – ce qui est évidemment négligeable on en conviendra -) n’a pas été examiné et 3 ont été acceptés « par défaut » (soit 0,04 % – ce qui est également négligeable, il est vrai -).

b) Les décisions d’approbation des comptes de campagne bénéficient d’une immunité juridictionnelle partielle

Les décisions par lesquelles la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuvent des comptes de campagne – qu’il s’agisse d’approbations pures et simples, de loin les plus nombreuses, ou d’approbations après réformation, dont le nombre n’est pas insignifiant – bénéficient d’une immunité juridictionnelle partielle. En l’état du droit jurisprudentiel, si un candidat est en droit de contester indirectement (par l’effet d’un recours dirigé contre la décision préfectorale arrêtant le montant du remboursement par l’Etat de ses dépenses de campagne) la décision de la CNCCFP rejetant, approuvant ou réformant son compte de campagne, la jurisprudence s’oppose à ce qu’un candidat non élu conteste devant le juge de l’élection le compte de campagne d’un candidat battu – fondamentalement parce que le recours devant être exercé contre l’élection, seul le compte de campagne du candidat élu est susceptible de contrôle juridictionnel – , et à ce que la décision d’approbation d’un compte de campagne soit déféré directement au juge de l’excès de pouvoir – parce qu’elle est réputée ne pas faire grief. On aboutit donc à une situation dans laquelle le candidat élu se trouve, du point de vue du contrôle des comptes de campagne, dans une situation plus défavorable que celle qui est faite à ses adversaires battus… Pourra-t-on durablement se satisfaire d’une situation qui (on voudra bien y être attentif) soumet les décisions d’approbation d’un compte de campagne au même régime contentieux que les actes de gouvernement ? L’équité qui doit régner entre les candidats recommande que soit mis en place, soit par la voie législative soit par un revirement de jurisprudence approprié, un système permettant le contrôle juridictionnel de toutes les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et spécialement des décisions d’approbation des comptes sinon dans tous les cas, au moins à chaque fois que le compte de campagne du candidat élu a été rejeté et que son élection a été annulée ou qu’il a été déclaré démissionnaire d’office. 

Si existent donc des zones d’inégalités dans le traitement par l’autorité administrative indépendante qu’est désormais tout à fait officiellement, depuis l’intervention de l’ordonnance du 8 décembre 2003 (article 7. I), la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, subsistent aussi des îlots d’inégalités entre les candidats dans le traitement juridictionnel des comptes de campagne.

2°) Des îlots d’inégalités dans le traitement juridictionnel des comptes de campagne

Le droit du financement des campagnes électorales est en effet source d’inégalités dans le traitement juridictionnel des comptes de campagne des candidats aux élections. A cet égard, il est piquant de signaler que tous les candidats ne peuvent bénéficier de la « bonne foi » pour être relevés de l’inéligibilité temporaire qui sanctionne sur le plan électoral le rejet de leur compte de campagne (a), de relever une curiosité dans la situation du candidat titulaire et de son suppléant pour les élections législatives (b) et de mettre en évidence l’avantage de fait dont bénéficient des candidats détenteurs de fonctions électives (c).

a) Tous les candidats ne peuvent bénéficier de la bonne foi pour être relevés de l’inéligibilité

Tous les candidats aux différentes élections ne sont pas en mesure de faire valoir leur bonne foi afin d’être relevés par le juge de l’élection de l’incapacité temporaire d’acquérir un mandat électif. Si cette possibilité existe incontestablement en droit écrit depuis l’intervention de la loi n° 96-300 du 10 avril 1996 et figure dans les dispositions de l’article L. 118-3 du C. élect., communes à l’élection des députés, des conseillers généraux et des
conseillers municipaux, elle est d’application limitée dans la pratique contentieuse (la « bonne foi » étant rarement reconnue par le juge administratif de l’élection, puisqu’elle est, pour l’essentiel, réservée aux hypothèses très peu nombreuses dans lesquelles les règles en matière de financement des campagnes électorales comportent des ambiguïtés), d’une part, et, d’autre part, n’est pas ouverte au profit des candidats aux élections législatives, faute d’une disposition organique appropriée, et aux élections européennes, en raison du renvoi par l’article 5 de la loi du 7 juillet 1977 aux dispositions de l’article L.O. 128 du C. élect., applicable à l’élection des députés, qui n’envisage pas la notion de « bonne foi ». Et c’est ici que réside la discrimination entre les candidats aux élections locales et les candidats aux autres élections qui n’a absolument aucune justification de fond. Parfaitement conscient de cette inégalité de traitement, le Conseil constitutionnel a suggéré de réaliser la réforme adéquate, sans succès jusqu’à présent… 

b) L’inégalité « juridico-financière » entre le candidat titulaire et son remplaçant

On peut se poser la question de savoir s’il est juste et équitable que, lorsqu’un candidat élu député voit son compte de campagne rejeté, et est, par suite, déclaré inéligible avant que son élection soit annulée ou qu’il soit déclaré démissionnaire d’office, son suppléant n’encoure absolument pas les mêmes sanctions, alors qu’il existe entre le titulaire et son remplaçant une totale solidarité juridique par ailleurs. En d’autres termes et pour parler clair, il serait à notre sens souhaitable que le droit jurisprudentiel positif, issu de la jurisprudence Rinaldi datant de 199392, soit modifié de telle sorte qu’il ne soit désormais plus possible à l’avenir au suppléant d’un député dont l’élection a été annulée de se porter
candidat à l’élection organisée en conséquence de cette annulation.

c) L’avantage de fait dont bénéficient des candidats détenteurs de fonctions électives

Les candidats déjà détenteurs de fonctions électives bénéficient, dans les faits, d’avantages divers que leur procure précisément la détention de mandats électifs sans que le juge de l’élection ne s’émeuve spécialement d’une semblable situation qui, qu’on le veuille ou non, est assez discriminatoire. Il la traite selon les canons jurisprudentiels devenus classiques depuis 1995 (V. supra) en décidant qu’il appartient à chaque fois à la CNCCFP – sous son contrôle il est vrai – d’apprécier au cas par cas si l’avantage procuré par une collectivité publique notamment est de nature à justifier le rejet du compte de campagne, comme il en est pour tout autre candidat. Mais, toute la question est de savoir si ce traitement indifférencié est justifié, car les candidats qui n’exercent pas de fonctions électives sont évidemment privés des avantages que procure la qualité de candidat sortant. Les exemples ne sont pas rares dans lesquels un candidat sortant ou détenteur d’une fonction élective autre que celle qu’il brigue peut régulièrement, dès lors qu’il prend certaines précautions et qu’il ne sous-évalue pas le coût de ces avantages, faire sa promotion électorale grâce au bulletin ou magazine municipal traditionnel, utiliser par exemple des biens appartenant à une commune tels que, une ligne téléphonique, une boîte postale, une machine à timbrer, une secrétaire, membre du personnel municipal, des clichés photographiques le représentant et un téléphone portable mis à la disposition de son suppléant. A cet égard, la mansuétude est de mise, alors que la situation des intéressés est privilégiée et appellerait peut-être plus de sévérité… 

Enfin, il convient de relever l’existence d’inégalités entre les candidats dans la législation même relative au financement des campagnes électorales.

3°) Des îlots d’inégalités dans la législation

Bien des dispositions législatives ou réglementaires mériteraient d’être réajustées et améliorées de manière à perfectionner le droit des financements électoraux. Mais on voudrait ici mette en évidence deux imperfections législatives génératrices d’inégalités entre les candidats à l’expérience.

a) L’absence de plafonnement des concours financiers des partis ou groupements politiques

Une première source d’inégalité entre les candidats tient dans le droit reconnu aux partis et groupements politiques d’apporter leur concours financier aux candidats et, spécialement bien sûr, aux candidats qui défendent leur couleur. Ces concours financiers partisans, parfaitement normaux et naturels ne sont pas, on le sait, plafonnés. En cela, rien de critiquable sur le plan des principes, d’autant plus que, on le sait aussi, selon l’article 4, alinéa 1er, de la Constitution, « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement (…) ». Or, tandis que les partis politiques les plus riches consentent des efforts financiers souvent importants pour soutenir leurs candidats – à titre d’exemple, les candidats se réclamant de l’UMP aux élections législatives de 2002, ont assez souvent bénéficié de 10 000 € de la part de cette formation – d’autres formations moins fortunées n’ont contribué que beaucoup plus modestement à la campagne électorale de leurs représentants. Ainsi, à l’examen de la Publication simplifiée des comptes de campagne pour ces élections et après avoir analysés les comptes des 8444 candidats, nous avons observé par exemple que les candidats se réclamant de Génération Ecologie n’ont bénéficié de la part de leur formation politique que d’apports équivalant à 43 € et ceux du MNR d’apports variant suivant les circonscriptions entre 15 € (dans le Puy-de-Dôme, par exemple) et 24 € (dans le Nord, par exemple). Dans ces conditions, on peut s’interroger sur le point de savoir si, dans le souci d’assurer une plus juste égalité entre les candidats, le montant des contributions partisanes ne devrait pas être plafonné à un niveau raisonnable susceptible de réduire les disparités constatées. On reconnaîtra néanmoins que cette suggestion restreindrait, si elle était admise, la liberté d’action des partis politiques… 

b) Les délais accordés à la CNCCFP pour statuer sur les comptes

Les délais accordés à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour statuer sur les comptes des candidats aux élections ne sont pas uniformes. Selon que les scrutins ont été ou non contestés, la CNCCFP dispose soit de deux mois à compter, jusqu’à présent, de la date limite de dépôt des comptes (soit, en bref, quatre mois à compter de la date à laquelle l’élection a été acquise), soit de six mois à compter de la date de dépôt des comptes, cette date étant ou pouvant être différente suivant les comptes, puisque dans une circonscription donnée, il faut prendre en considération la date particulière à laquelle chaque compte a été déposé. Il ne s’agit pas ici de dénoncer la différence ou l’inégalité de traitement des candidats à des « scrutins contentieux », pour utiliser l’expression devenue classique, car en réalité les candidats à des élections contestées sont placés sur un même terrain d’égalité, encore que, comme le fait remarquer la CNCCFP, il existe assurément « une rupture d’égalité entre les candidats » résultant de « la réduction du délai d’examen et, notamment, de leur possibilité de régulariser leur compte », mais il convient de souligner la réelle inégalité des candidats pour les scrutins dits « non contentieux », puis il incombe à la Commission de « surveiller la date de dépôt de chacun des comptes d’un même scrutin, ce qui complique sensiblement la programmation de ses séances d’examen ». On comprend dès lors aisément pourquoi, « afin de gagner en simplification et en efficacité, la Commission souhai(te) qu’un point de départ unique du délai d’examen soit retenu tant pour les scrutins contentieux que pour les scrutins non contentieux, à savoir la date limite du dépôt pour l’ensemble des comptes d’un même scrutin ».

D’aucuns ne manqueront pas de faire observer que, pour réelles qu’elles soient, les inégalités juridiques entre les candidats jusqu’ici relevées n’affectent pas directement l’élection, puisqu’elles se situent en aval du scrutin, qu’elles lui sont postérieures. La pertinence de cette remarque est incontestable. Mais il est également incontestable qu’il existe aussi entre les candidats de fortes inégalités financières au moment même de l’élection.

B. De fortes inégalités financières entre les candidats aux élections

Il y a quelques années, M. le professeur Olivier Duhamel a affirmé, dans son ouvrage Le pouvoir politique en France 99, que « la télévision fait l’élection ». Comme nous l’avons suggéré dans l’introduction, nous nous sommes posé une question voisine, nécessairement impliquée par la problématique qui nous retient, celle du caractère équitable de la représentation politique dans le domaine du financement des campagnes électorales : l’argent fait-il l’élection ?

Pour tenter d’apporter une réponse à cette question, trois élections différentes ont été retenues : les élections présidentielles de 1995 et de 2002 et les élections législatives des 9 

et 16 juin 2002. A partir des données les plus fiables et vérifiables qui soient – les comptes de campagne de tous les candidats à ces trois élections à deux exceptions près, tels qu’ils ont été publiés au Journal officiel, soit dans l’édition « Lois et décrets » (pour les élections présidentielles), soit dans celle des « Documents administratifs » pour les élections législatives de 2002, après avoir été examinés par le Conseil constitutionnel directement et exclusivement pour les deux élections présidentielles et par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour les 8 444 candidats aux élections législatives de 2002 -, nous avons été désireux de dégager des orientations générales et de nous risquer à les systématiser sous forme de lois financières en matière électorales, financières en matière électorales, nous est apparu que la prise en compte de la seule dernière élection présidentielle pourrait conduire à des conclusions peu significatives, puisqu’elles porteraient sur l’observation de la situation financière de 15 des 16 candidats seulement dans une configuration électorale quelque peu inattendue et singulière ; parce que cette observation méritait d’être complétée par la situation financière des 8 des 9 candidats à l’élection présidentielle précédente de 1995 ; et parce que limiter l’examen à un total de 23 candidats réduirait la signification et la portée des conclusions auxquelles on aboutirait. C’est pourquoi, il nous a semblé indispensable d’entreprendre une recherche plus vaste incluant l’étude de la situation financière des 8444 candidats aux élections législatives de juin 2002.

On croit être d’autant plus fondé à procéder ainsi que l’examen des résultats des élections présidentielles de 1995 et 2002 et du montant des fonds recueillis ainsi que de celui des dépenses engagées à ces deux occasions par les candidats aboutirait à des conclusions aussi imprudentes que hâtives. A ne considérer que les résultats finaux de ces scrutins – c’est-à

dire les seconds tours -, il serait tentant d’affirmer que l’argent fait l’élection présidentielle. N’est-ce pas, en effet, M. Chirac qui a été élu puis réélu Président de la République en tant récolté les fonds les plus élevés ? N’a-t-il pas devancé M. Jospin en 1995 en ayant disposé de 119 959 188 F (soit 7,61 F par voix [Tableau 1 ter]) contre 88 930 362 F (soit 6,22 F par voix [Tableau 1 ter]) pour son adversaire (Tableau 1), lequel n’a récolté qu’un total de recettes équivalent à 74,13 % du total des fonds réunis par M. Chirac (Tableau 1 bis) ? M. Jacques Chirac ne l’a-t-il pas emporté en 2002 sur M. Le Pen en recueillant 18 062 090, 60 € pour sa campagne (soit 0,70 € par voix [Tableau 2 ter]) alors que ce dernier n’a pu consacrer à sa campagne électorale que 12 126 180, 07 € (Tableau 2), soit 2,19 € par voix (Tableau 2 ter), en recueillant des fonds correspondant à 67,13 % du montant de ceux dont M. Chirac a été en mesure de disposer (Tableau 2 bis)? La cause est entendue, dira-t-on : l’argent fait l’élection… 

En vérité, la cause paraît seulement entendue, car l’examen des résultats électoraux et financiers des candidats aux élections législatives (Tableau 3) nécessite d’affiner la réflexion et de nuancer le propos. Ce tableau fait ressortir, par circonscriptions législatives
(colonne 1) au nombre total de 577 en France métropolitaine et outre-mer, le nombre des candidats (colonne 2) qui ont concouru aux élections sans avoir recueilli ou bénéficié de la moindre ressource (« candidats à 0 ») : 1549 sur 8444 (soit 18,34 %) – ce qui n’est assez inattendu et, à tout prendre non négligeable, – se trouvent dans cette situation. On notera que cette situation singulière est assez générale, puisque c’est seulement dans 38 des 577 circonscriptions (soit dans 6,58 % d’entre elles) que tous les candidats sont partis en campagne avec un minimum de ressources. La colonne 3 de ce même tableau est le calcul du rapport entre le montant des ressources financières du candidat élu dans la circonscription et celui du candidat qui a disposé des ressources les moins élevées (les « candidats à 0 » sont évidemment exclus de ce calcul). Enfin, la colonne 4 retrace le pourcentage que représentent les fonds recueillis par le candidat le plus modestement doté par rapport au montant des ressources du candidat le plus fortuné. Or, précisément, le rapprochement des colonnes 3 et 4 met clairement en lumière les très fortes disparités existantes. D’une part, c’est dans la 2ème circonscription de Nouvelle-Calédonie que le rapport entre la situation financière du candidat le moins fortuné et celle du candidat élu est le plus faible ; c’est donc dans cette circonscription que la situation du candidat le plus désargenté est la plus « confortable » si l’on ose dire… Mais, le candidat le plus richement
doté l’est douze fois plus que son adversaire le moins fortuné et la part des ressources financières de ce dernier par rapport au premier nommé – qui est, en la circonstance le candidat élu, désigné « E 379 » parce que ce candidat élu est, dans l’ordre alphabétique des circonscriptions législatives le 379ième candidat élu qui a disposé des plus fortes ressources financières – représente seulement 8,22 %… D’autre part, c’est dans la 1ère circonscription de l’Ille-et-Vilaine que la disparité est la plus criante. Ici, le candidat élu avait un montant de ressources 21535 fois supérieur à celui du candidat le plus modeste. Aussi significative – car microscopique – est la part en pourcentage du budget du candidat le plus démuni par rapport au candidat, d’ailleurs élu, le plus fortuné : 0,004 % !…

En fait, les observations portant sur ces trois scrutins n’autorisent certainement pas à dire que « l’argent fait l’élection » en toute hypothèse. En revanche, elles permettent d’avancer des conclusions et de soutenir, en particulier, que l’argent contribue à l’élection ou, si l’on préfère, la favorise. A vrai dire, de même que dans les Facultés de droit on enseigne les « lois de Rolland » gouvernant le service public, de même, en matière électorale, deux « lois financières » peuvent être formulées. D’une part, les candidats les plus démunis financièrement ne sont jamais élus (1°), d’autre part, les candidats les plus fortunés sont le plus souvent élus (2°).

1°) Première loi électorale financière : « les candidats les plus démunis ou les moins riches ne sont jamais élus ».

Cette première « loi électorale financière » se décline en deux propositions qui sont autant de constatations avérées à l’examen des trois élections que l’on sait : tout candidat désargenté n’est jamais élu ; tout candidat qui ne dispose que des plus faibles ressources
n’est jamais élu.

a) Tout candidat désargenté n’est jamais élu

L’hypothèse paraît totalement théorique. Et pourtant, elle ne l’est pas (Tableau 3, 1ère colonne). On l’a déjà indiqué, les élections législatives de juin 2002 offre l’exemple de la situation ici envisagée : 1549 candidats (soit 18,34 % du nombre total de candidats) ont pris part à la compétition dans 539 circonscriptions sur 577 sans disposer de la moindre ressource financière. Compte tenu de sa fréquence de réalisation – elle s’est produite dans 93,4 % des circonscriptions -, cette hypothèse présente même un caractère de généralité notable. Or, aucun des candidats totalement démunis n’a été élu.

b) Tout candidat qui ne dispose que des plus faibles ressources n’est jamais élu

Telle est la deuxième observation qui peut être faite à l’examen des deux dernières élections présidentielles et des élections législatives de 2002. Pour l’élection présidentielle de 1995, d’abord, la situation de M. Jacques Cheminade étant réservée pour la raison précédemment indiquée, la candidate qui disposait du plus faible montant de ressources, Mme Dominique Voynet (7 266 891 F), est arrivée en dernière position. On notera que le montant total des recettes que Mme Voynet a recueilli représente 6,05 % des recettes totales de M. Jacques Chirac et 7,93 % du total des recettes de M. Balladur, premier des candidats à ne pas pouvoir être présent au second tour (V. Tableau 1 bis). Pour l’élection présidentielle de 2002 ensuite, le cas de M. Bruno Mégret étant réservé pour les mêmes raisons que M. Cheminade en 1995, M. Daniel Gluckstein qui disposait des plus faibles ressources (574 093,43 €) n’a obtenu que la 16ème et dernière place à l’issue du premier tour de scrutin. Le montant total de ses ressources représente 3,17 % du total des recettes de M. Chirac et 4,58 % du total des ressources financières du premier des candidats non admis à participer au second tour, c’est-à-dire M. Jospin (Tableau 2 bis). Enfin, à l’occasion des élections législatives de juin 2002, aucuns des 8 444 candidats qui disposaient du budget le plus modeste n’ont été élus.

Qu’en est-il maintenant pour les candidats qui disposent des plus importants moyens financiers ? C’est l’objet de la seconde « loi électorale financière ».

2°) Seconde loi électorale financière : « les candidats les plus fortunés sont le plus souvent élus » ou « ont le plus de chances d’être élus »

Il est permis de poser que les candidats les plus fortunés sont le plus souvent élus ou ont le plus de chances d’être élus. Encore peut-on affiner la réponse en distinguant les élections présidentielles et les élections législatives.

a) La « loi électorale financière »pour l’élection présidentielle : « Le candidat le plus richement doté est toujours élu »

Pour l’élection présidentielle, le candidat qui dispose des ressources financières les plus élevées finit par être élu. Lors de l’élection présidentielle de 1995, M. Jacques Chirac l’a emporté en recueillant un peu moins de 120 millions de francs (plafond des dépenses, à l’époque autorisé) – très exactement 119 959 188 francs – alors que M. Lionel Jospin n’avait recueilli que 88 930 362 francs (Tableau 1). A l’occasion de l’élection de 2002, M. Jacques Chirac, candidat le mieux doté financièrement avec 18 062 090 €, a devancé M. Le Pen au second tour de scrutin, alors que ce dernier n’avait pu bénéficier que de 12 126 180,07 € (Tableau 2). Pour les élections présidentielles, il est donc possible de poser comme « loi financière électorale » que le candidat le plus richement doté est toujours élu, ou, si l’on veut être plus exact, que le candidat qui a disposé des plus fortes dotations financières finit par être élu, la nuance tenant à ce que, au premier tour de l’élection présidentielle de 1995, M. Chirac était arrivé en deuxième position après M. Jospin.

Dans ces conditions, l’argent fait-il l’élection, comme « la télévision fait l’élection », pour reprendre l’affirmation de M. Duhamel ? Cette conclusion serait excessive. Il faut, en effet, la tempérer, la nuancer à la lumière des observations qu’appellent à présenter les élections législatives de juin 2002.

b) La « loi électorale financière » pour les législatives : « Les candidats disposant des ressources financières les plus élevées l’emportent dans une forte proportion de cas».

Au cours de ma communication orale lors du colloque du 17 octobre 2003, j’ai indiqué que, pour ces élections de juin 2002, 386 élus sur 577, soit 66,89 % d’entre eux, ont recueilli les plus fortes recettes ou plus exactement ont disposé des ressources financières les plus élevées. Par recettes, il faut entendre, suivant la classification retenue par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, indépendamment des recettes dites « autres » qui sont négligeables, les dons, les apports des partis, les avantages en nature (autrement dénommés « concours en nature ») et l’apport personnel, qui correspond aux sommes versées par le candidat ou son suppléant, provenant de son patrimoine personnel ou d’avances et emprunt. J’en avais inféré que le candidat qui disposait des plus fortes recettes avait près de 7 chances sur dix d’être élu. Mais, vérification faite, le chiffre que j’avais avancé est erroné. En vérité, ce sont 379 élus (Tableau 3, dernière colonne, classement pour ordre allant de E 1, Ain 1ère circonscription, à E 379, Nouvelle-Calédonie 2ème circonscription) sur 577 (soit 65,68 %) qui ont recueilli les plus fortes recettes et ont donc disposé des ressources les plus conséquentes. On admettra sans peine que ceci n’affecte pas grandement l’exactitude de la remarque primitive… On en déduira, à l’aune des seules données financières, que les candidats les plus riches ont près de 2 chances sur 3 d’être élus et qu’à tout prendre, en définitive, l’argent, qui permet d’engager les dépenses électorales – 374 élus sur 577 (soit 64,81 %) ont engagé les dépenses les plus élevées -, favorise l’élection.

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Au terme de cet examen, faut-il considérer que les disparités et inégalités relevées sont telles qu’elles compromettent gravement le caractère équitable de la représentation ?

Si oui, assurément moins, d’abord, qu’avant l’intervention des lois successives sur le financement des campagnes électorales et de la vie politique, lesquelles ont, de toute évidence, rendu plus équitables les conditions de la compétition électorale en encadrant et en restreignant, par diverses mesures et spécialement le plafonnement des dépenses électorales, la limitation du montant des dons de personnes physiques, la prohibition des concours financiers des personnes morales et les multiples et sévères sanctions qui frappent les candidats fautifs, le rôle de l’argent dans les campagnes électorales. 

Faut-il penser que les inégalités relevées sont à ce point insupportables qu’elles affectent sérieusement le caractère équitable de la représentation ? Si oui, pas autant, ensuite, qu’on serait tenté de le croire à l’issue d’un examen sommaire de la question qui s’attacherait à ne considérer que les élections présidentielles, sachant qu’il est avéré que dans près de quatre cas sur dix pour les élections législatives, ce qui n’est à tout prendre pas rien, l’élu doit son élection non pas au rôle primordial de l’argent, mais – et c’est réjouissant – à d’autres facteurs qui tiennent à son équation personnelle, à ses qualités propres, à la pertinence de son programme et à son implantation locale, tous éléments qui ne s’apprécient pas en argent…

Faut-il estimer que les inégalités relevées sont telles qu’elles altèrent substantiellement le caractère équitable de la représentation ? Pas plus, peut-être et enfin, que la délimitation des circonscriptions électorales soumise à un contrôle juridictionnel de la part du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat, ou le choix des modes de scrutin, des seuils de maintien des candidatures ou de fusion des listes en vue d’un second tour de scrutin, comme on a pu le relever récemment à l’occasion de la discussion de la loi du 11 avril 2003 relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, qui constituent aussi – qui en doute ? – autant d’autres paramètres susceptibles d’affecter le caractère équitable de la représentation.